Notre-Dame de Liesse

Extrait du livre « La Vierge, histoire de la Mère de Dieu » par M. l’abbé Mathieu Orsini, 1838.

Le pèlerinage de Notre-Dame-de-Liesse en Picardie, moins ancien que ceux de la France méridionale, puisqu’il ne remonte qu’au douzième siècle, les surpasse en célébrité. L’origine de la statue de la Vierge qui décore ce saint lieu est toute merveilleuse, et la tradition s’en est conservée, non seulement dans la province de France où elle se trouve, mais encore dans la Terre sainte ; on assure même qu’elle existe dans les archives des chevaliers de Malte. Voici cette tradition, qui porte un cachet oriental très prononcé.

Foulques d’Anjou, roi de Jérusalem, ayant rebâti, à quatre lieues d’Ascalon, la forteresse de Bersabée, pour protéger la frontière de son royaume contre les courses des Sarrasins, en confia la garde aux braves et pieux chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Cette vaillante garnison était souvent aux prises avec les infidèles qui tenaient l’ancien pays des Philistins pour le Sultan d’Égypte.


Un jour, les chevaliers de Saint-Jean, au nombre desquels se trouvaient trois frères de l’ancienne et opulente maison d’Eppe en Picardie, tombèrent dans une embuscade, et, malgré des prodiges de valeur, furent pris et chargés de fers par les Musulmans qui les envoyèrent en Égypte. Les sires d’Eppe avaient la mine haute, la stature élevée, et le port héroïque des anciens preux du nord de la France.

Le Sultan les distingua tout d’abord dans la foule des chrétiens, et voulant les attacher à la cause de son faux prophète, il débuta par les jeter dans un cachot pour leur amollir le courage, et fit briller ensuite à leurs yeux les perspectives les plus séduisantes, afin de les entraîner à l’apostasie. Les trois guerriers, qui avaient été inaccessibles à la crainte, furent sourds au bruit de l’or et à la voix de l’ambition.

Le Sultan, trompé dans ses espérances, leur envoya les plus fameux imams, afin d’argumenter avec eux sur la Foi ; les bons chevaliers, en haine de l’islamisme, devinrent tout-à-coup des théologiens subtils, et défendirent aussi bien le christianisme dans la dispute qu’ils l’avaient souvent fait l’écu au bras et la lance au poing.

Le Sultan se crut engagé d’honneur à vaincre les captifs, et son obstination croissant à proportion de la résistance, il jura que les chevaliers de Saint-Jean suivraient l’étendard du prophète, dût-il lui en coûter la moitié de l’Égypte. Il avait une fille belle, chaste, accomplie, et digne en tout de suivre une meilleure croyance ; il l’envoya dans le cachot où les chevaliers francs languissaient dans les chaînes, et la chargea de leur faire une peinture affreuse des supplices qu’on leur préparait.

Les chevaliers reçurent la princesse avec tous les témoignages de respect qu’on prodiguait alors aux dames ; mais ils repoussèrent ses insinuations avec le courage déterminé d’hommes qui acceptent le martyre, et lui expliquèrent leur croyance d’une manière si persuasive que la jeune musulmane se prit à rêver et à réfléchir sur le Christ et sur sa bienheureuse Mère. Une image miraculeuse et rayonnante de Marie, que les anges apportèrent, dit-on, aux pieux champions de la foi chrétienne, acheva la conversion de la jeune infidèle. Une nuit qu’elle avait gagné à prix d’or les gardes des trois guerriers francs, elle pénétra dans leur prison avec une cassette pleine de pierreries, et se sauva avec eux du palais de son père.

Après avoir traversé le Nil dans une barque préparée pour les recevoir, les fugitifs se dirigèrent du côté d’Alexandrie, espérant peut-être se cacher temporairement dans les monastères coptes de la solitude de Saint-Macaire ; mais après quelques heures de marche, la princesse, épuisée de fatigue, désira se reposer un instant, et malgré l’imminence du péril, les trois chevaliers de Saint-Jean , résolus de faire bonne garde, la firent asseoir dans un champ de Doura en pleine verdure, et s’assirent eux-mêmes à une distance respectueuse. La princesse s’assoupit, et ses compagnons de voyage, après avoir lutté, mais en vain, contre la somnolence qui succédait à de longues nuits sans repos, s’endormirent profondément.

Nul ne sait combien de temps dura leur sommeil. Le chevalier d’Eppe, l’ainé des trois, fut le premier qui se réveilla ; le soleil commençait à dorer la cime des arbres où l’on entendait le doux chant des oiseaux. Le seigneur croisé considéra le paysage avec une vive surprise. Il s’était endormi en vue du Nil et des pyramides, sous les branches en éventail d’un palmier, et il se réveillait sous un chêne aux rameaux noueux, au bord d’une source limpide, sur le plus frais gazon semé de marguerites blanches ; peu loin de là, les tours rondes et noires d’un vieux château baronnial lui rappelaient le manoir où il avait laissé sa mère tout en pleurs à son départ pour la Terre sainte. Un pâtre qui menait ses moutons aux champs, le tira de son incertitude ; le château qu’il voyait, c’était son propre château de Marchais, et il se réveillait en Picardie, sous l’avenue que ses pères avaient plantée. Il bénit la Vierge secourable et réveilla ses compagnons, dont l’étonnement fut égal au sien.

L’image de la sainte Vierge leur était restée ; ils bâtirent une belle église pour l’y déposer, et la princesse musulmane reçut le baptême dans la cathédrale de Laon. Que cette statue de la Vierge sainte soit arrivée en France par des moyens plus naturels, on peut le croire sans péché ; mais ce qu’il est impossible de révoquer en doute, c’est qu’elle fut apportée de la Terre sainte par trois seigneurs d’Eppe, chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem.

Les noms les plus illustres de la monarchie furent sur la liste des pèlerins de Notre-Dame-de-Liesse. On y lit ceux du duc de Bourgogne, de Louis II de Bourbon, prince de Condé, du duc de Mercœur, du prince Albert-Henri de Ligne, de madame Henriette-Françoise de France, reine d’Angleterre, des princes de Longueville, du maréchal d’Ancre, de mademoiselle de Guise, du comte d’Egmont, de Louis duc d’Orléans, frère de Charles VI, de Charles VII, du roi René, de Louis XI, de François Ier, de Henri II, de Charles IX , de la reine Marie de Médicis, de Louis XIII, d’Anne d’Autriche, de Louis XIV, etc.

Plusieurs de ces grands personnages, peu contents de laisser de riches dons à Notre-Dame-de-Liesse, y placèrent leur statue; celle de Louis II de Bourbon, prince de Condé, était d’or.

Marie Casimire Louise de La Grange d’Arquien, alors grande maréchale de Pologne, et qui fut ensuite reine de ce royaume, vint à la chapelle de Notre-Dame en 1671, et y présenta, à la sainte Vierge, un enfant d’argent, représentant le prince Alexandre Sobieski son fils, avec une chaîne d’or enrichie de diamants, pour témoigner qu’elle le vouait à la Vierge comme son esclave.

Ce sanctuaire fut pillé comme les autres par les huguenots ; la révolution vint glaner le reste.

La chapelle de Notre-Dame-de-Liesse attire encore aujourd’hui, malgré l’incrédulité des temps un grand concours de pèlerins.


Connaissez-vous Notre-Dame de Liesse? par Marie Baboyant

Un article sur la dévotion à Marie ne peut être hors de propos dans Kateri. Surtout si cette dévotion est rattachée aux Jésuites.  En effet, nous savons que Kateri connut la Vierge Marie au cours de sa préparation à son baptême, pendant l'hiver de 1675-1676.  “Elle avait une dévotion tendre envers la Mère de Dieu, écrit le Père Claude Chauchetière, dès qu'on lui apprit les qualités, le pouvoir et la gloire de Notre-Dame et comment on devait l'honorer.”  Et elle a récité ensuite toute sa vie Wari, tekonnoronkwanions, le “Je vous salue, Marie!” dans la belle langue des Agniers.  L'Angélus aussi et les litanies de la Sainte Vierge, qu'elle savait par coeur.

Afin d'imiter la dévotion mariale de Kateri, je ne doute pas que vous soyez prêts à vous intéresser à tout ce qui peut vous approcher davantage de la Vierge Marie, y compris ses sanctuaires.  Connaissez-vous, par exemple, celui de Notre-Dame-de-Liesse?  Il est possible que non, parce que c'est là un de ses lieux de prière les plus discrets.

La maison de Notre-Dame de Liesse au Canada est l'église du Gésù, au centre de Montréal, sur la rue de Bleury entre Dorchester et Sainte-Catherine.  C'est une belle vieille église, construite en 1863-1865 comme église du Collège Sainte-Marie, des Pères Jésuites, qui existait déjà depuis 1848.  Elle est de style baroque, la seule de ce style à Montréal.  Cela veut dire en particulier qu'elle a de très hautes et grosses colonnes, une décoration entière de fresques monochromes brunes, que les autels sont décorés de très hauts rétables.  Tout cela crée un climat très bon pour la prière.

Eglise du Gésù, Montréal

La statue de Notre-Dame de Liesse trône sur l'autel du transept sud, à gauche de l'autel central.  Elle y est depuis un siècle cette année, depuis le 7 septembre 1877.  Ce sont les Jésuites, le Père François-de-Sales Cazeau plus spécialement, qui l'y ont apportée.  Et depuis lors, elle est entourée d'ex-voto, de luminaires et de fidèles, qui la prient et obtiennent d'elle beaucoup de faveurs spirituelles, la joie spirituelle tout particulièrement, comme le dit le nom sous lequel on invoque ici Marie.  Et au cours de l'histoire, des miracles éclatants se sont produits devant cette statue de la Vierge.

 

Notre-Dame de Liesse en France

C'est dans une ancienne église construite en 1115 à 15 kilomètres de Laon que commence le culte.  Une statue noire de la Vierge, “en bois couleur café”, disent les vieux textes, y a été rapportée par des chevaliers revenant des croisades.  Ils sont trois frères, de la famille d'Eppes et de Marchais, appartenant à l'ordre des Hospitaliers, aujourd'hui Chevaliers de Malte.  Et ils ramènent avec la statue miraculeuse une belle légende.

Bien abrégée, la légende dit ceci: nous sommes en 1134 et les chevaliers ont repoussé les Musulmans hors de Jérusalem, jusqu'à Ascalon.  Malgré cette victoire, nos trois chevaliers ont été faits prisonniers par le Sultan et amenés au Caire.  Le Sultan essaie par tous les moyens de les convertir à l'islamisme.  Et comme dernier moyen, il leur envoie une de ses filles, la princesse Ismérie, pour les séduire.  Les chevaliers résistent et tentent à leur tour de la convertir au christianisme.  Et ils prient la Vierge Marie de les aider à faire une statue d'elle pour la présenter à Ismérie.  Ils demandent même du bois et des outils que la princesse leur apporte.

Or, avant même qu'ils aient tenté de fabriquer une image, ils trouvent à leur réveil une belle statue de la Vierge.  Elle convertira la princesse Ismérie, qui s'enfuira avec les chevaliers, et arrivera finalement sur les terres de leur famille, près de Laon.  L'image deviendra subitement si lourde que personne ne pourra ensuite la transporter.  On y verra le signe qu'elle veut avoir là son sanctuaire.  Ce qui fut fait.  Et la princesse Ismérie, devenue chrétienne, y vivra et mourra après une sainte vie.  En particulier, les Chevaliers de Malte lui vouent un culte spécial.

 

L'histoire aventureuse de Notre-Dame de Liesse

L'église devient vite un lieu de pèlerinage.  Bien des gens y viennent prier devant la statue noire.  Parmi eux des rois, Charles VI en 1414, Louis XI plusieurs fois, Marie de Médicis pour remercier la Vierge de la naissance de Louis XIII, Louis XIV en 1652.

Mais viennent la Révolution française et les pillages.  On vole les ex-voto en 1790 et 1792. Puis, en 1793, lors d'un nouveau saccage, on transporte la statue hors de l'église et on la brûle.  Les pèlerinages sont interdits et l'église demeure déserte.

Mais les fidèles avaient recueilli les charbons de la statue brûlée.  En 1802, la paix étant revenue, on recommence le pèlerinage.  Un des desservants de l'église trouve dans les greniers une petite tête de statue de la Vierge en pierre.  Il entoure de carton les charbons de la statue ancienne, y fixe au-dessus la tête de pierre et l'expose aux pèlerins.  Comme les miracles recommencent, l'église est peu à peu rénovée, une nouvelle statue semblable à l'ancienne est fabriquée en 1857, et on y insère quelques fragments des charbons.  C'est cette statue qui est vénérée encore aujourd'hui à Liesse près de Laon.

Les Jésuites, qui sont les desservants de l'église depuis 1851, avaient conservé dans leur maison l'ancienne statue de carton avec les fragments brûlés.  Ils font exécuter par un artisan de Paris une statue qui reproduit en plus solide la pauvre image de carton et de pierre.  Elle demeurera chez-eux jusqu'au printemps de 1877, alors que le gouvernement français réquisitionne la demeure des Jésuites et les force à partir pour Paray-le-Monial.

 

Notre-Dame de Liesse au Québec

C'est à ce moment que nous rencontrons les Jésuites canadiens qui faisaient à Liesse leur Troisième Année de Noviciat.  Le supérieur de la maison, peu avant leur retour au Canada, décide de leur donner la vieille statue de Notre-Dame de Liesse, contenant les cendres de la statue brûlée en 1793, pour qu'elle puisse avoir un sanctuaire à Montréal.  C'est ainsi qu'on l'apporte au Gésù.  La ferveur avec laquelle on l'accueillit amena très vite une réponse de Marie en faveurs diverses.  Dès l'année suivante, le 7 janvier 1878, tous les évêques du Canada, réunis pour l'ouverture des Facultés de L'Université Laval à Montréal, viennent la prier.  Et le 31 mai de la même année, l'évêque de Montréal, Mgr Fabre, termine le mois de Marie en intronisant solennellement la statue.  Peu après, il obtient l'indult qui accorde une messe spéciale et un office au bréviaire, fixant la fête au premier juin.  Dans sa lettre circulaire de Noël 1878, il raconte la légende des trois chevaliers et de la princesse Ismérie.  Et dès 1879, on raconte trois miracles plus éclatants.

Extrait de la revue Kateri

Statue de Notre-Dame-de-Liesse, Montréal

Servez le Seigneur dans la joie! (Psaume 99)

Serve ye the Lord with Gladness! (Psaume 99)